Je suis moins confiant que j’en ai l’air lorsque nous rejoignons Noée et Sara. Je porte un jean noir déchiré et une chemise blanche aux manches retroussées, et j’ai emprunté le gel de Gabriel pour plaquer mes cheveux en arrière. Comme à mon habitude ces derniers temps, j’ai pris le soin d’ajouter ma touche finale avec un crayon noir dessinant le contour de mes yeux. Les filles sifflent en nous voyant arriver. Gabriel a opté pour un style plus classe avec un pantalon noir et une chemise de la même couleur. Il a également appliqué du khôl après mes supplications, faisant ressortir le beau gris de ses yeux. Il est magnifique.
Nous posons nos manteaux dans l’entrée de la maison que je connais déjà bien et suivons les filles à l’intérieur. Si plus tôt j’ai agi comme s’il m’était égal de venir chez Andrea, je n’en mène actuellement pas large. Soudain, je me sens trop sexy, trop apprêté, trop séduisant, et j’ai envie de me cacher. Gabriel, qui doit sentir mon inconfort, me saisit la main et m’emmène avec lui chercher à boire. Ne souhaitant pas perdre le contrôle comme les fois précédentes, je me contente de me servir une bière que je compte faire durer un bon moment. Mon ami fait de même et se tourne vers moi, arrêtant son regard dans le mien.
– Que cette nouvelle année nous donne les solutions pour vivre heureux, dit-il en cognant sa bouteille contre la mienne.
Voyant que je retiens un fou rire, il me donne un léger coup dans l’épaule.
– Eh, j’essayais de nous donner de l’espoir, arrête de te moquer !
– Ne t’en fais pas, tu m’as revigoré d’espoir pour au moins cinq ans là !
Alors que j’avale mes premières gorgées, Andrea apparaît dans un coin de la pièce. J’essaye de me détourner pour aller me cacher, mais il avance droit vers nous.
– Salut Matéo, dit-il, hésitant. Ça me fait plaisir que tu sois là. Toi aussi, Gab. Passez une bonne soirée les gars.
Il presse mon épaule et s’éloigne aussi vite qu’il est arrivé. Gabriel et moi échangeons un regard circonspect puis allons explorer le reste de la maison pour voir à quoi les invités s’adonnent.
Entre les différents jeux en cours, nous décidons d’aller rejoindre Noée qui danse dans la pièce principale. Cette dernière sourit en nous voyant et me prend la main pour pivoter contre moi. Nous nous lançons dans une pâle tentative de danse de salon et Gabriel rit lorsque mon amie m’écrase les pieds pour la sixième fois.
– Tu sais faire mieux peut-être ? dit-elle en s’écartant de moi pour lui laisser la place.
Gabriel s’approche hésitant.
– Je peux ? demande-t-il en approchant son corps du mien.
J’acquiesce, le souffle coupé, alors que ses hanches se collent aux miennes lorsqu’un morceau de musique latine se lance. Je m’étonne de m’apercevoir que mon ami maîtrise particulièrement son déhanché et rougis en réalisant la proximité de nos corps. Il semble percevoir mon malaise et se détache légèrement avant de faire une courbette en riant.
– Ok c’était beaucoup trop sexy ! s’écrie Noée.
Gabriel continue de rire et nous reprenons une danse moins engageante physiquement. Un groupe d’invités finit par se joindre à nous, accompagnés de Sara, et nous dansons ensemble durant une bonne heure, attendant le décompte avant minuit.
Alors que Gabriel s’éloigne pour aller aux toilettes, je sens une présence derrière moi. Avant que je ne puisse me retourner, des mains me saisissent les hanches et un corps se colle contre mes fesses. J’essaye de m’en détacher mais l’étreinte est trop ferme.
– Allez, ne fais pas le prude Matéo, tu crois que je ne t’ai pas vu tout à l’heure ?
Je reconnais la voix d’Andrea. Mon sang ne fait qu’un tour et j’arrive enfin à m’écarter de lui pour partir vers le jardin. Voyant qu’il me suit, je sens la colère monter en moi. La même qui m’a habité, plus tôt, chez Claude.
– Ne t’approche pas de moi ! je crie presque en direction d’Andrea.
Ce dernier ignore ma demande, comme d’habitude, et envahit à nouveau mon espace. Avant qu’il n’ait pu s’exprimer, mon poing s’abat sur son menton, nous arrachant un cri à tous les deux. Ignorant la douleur, je lui porte un deuxième coup, cette fois-ci au niveau de l’arcade sourcilière, qui laisse échapper un filet de sang. A cette vue, je reviens à moi et recule, terrifié par mon comportement.
– A…Arrête de me toucher, Andrea. Ne m’approche plus jamais, c’est compris ?
Le jeune homme acquiesce, essayant tant bien que mal de se relever. A ce moment-là, j’entends la porte coulissante s’ouvrir et Gabriel apparaît dans mon champ de vision. Je me mets à trembler.
– Je… Je suis désolé… Je ne sais pas pourquoi j’ai réagi comme ça ! Il s’est collé à moi et j’ai pété un plomb… Gab, ça ne me ressemble pas, pourquoi ça m’arrive ?
Mon ami tend des mouchoirs au blessé et l’aide à se relever pour qu’il entre dans la maison. Il revient alors vers moi, le regard tendre, mais inquiet.
– Ce n’est pas la première fois qu’il t’agresse, et avec ce que tu as vécu, ta réaction est totalement compréhensible, Mat. La violence ne résout rien, mais je me doute bien que tu as été dépassé.
Je secoue la tête, les larmes aux yeux.
– Tu ne comprends pas, c’était comme chez Claude. J’ai complètement perdu le contrôle. Je deviens fou !
Gabriel me prend dans ses bras alors que je sanglote contre son épaule, honteux. Nous restons ainsi un moment, puis je m'assieds sur une marche alors que mon ami part chercher nos vestes. A son retour, je lui tends une cigarette avant d’allumer la mienne.
– On a loupé le décompte avec tout ça, dit-il en regardant l’heure. J’espère que ça ne porte pas malheur !
Je souris.
– On n’est plus à ça près je crois.
Après quelques longues minutes de silence, je relance la conversation.
– Je ne te fais pas peur, Gab ?
Il secoue la tête.
– Ne dis pas de bêtise. Bien sûr que tu ne me fais pas peur, je suis juste inquiet.
– Pourquoi rester avec moi ? Tu pourrais aller vers des gens avec moins de problèmes, plus sains que moi.
– Ne sois pas bête Matéo, répond-il en écrasant son mégot. Je t’apprécie énormément, tu es une personne intéressante, drôle et agréable. La seule inquiétude que j’ai, c’est celle de te perdre.
– Pourquoi tu me perdrais ? A part les filles et toi, je n’ai personne, et je ne pourrais pas me passer de vous.
– Je ne parlais pas en ce sens. J’ai… Avant de venir ici, j’ai connu quelqu’un qui souffrait énormément. Ses parents l’ont maltraité toute son enfance et continuaient de le faire tous les soirs. Il s’appelait Antoine. C’était mon meilleur ami, le seul peut-être que j’ai pu avoir avant toi. Un soir, son père l’a frappé plus fort que d’habitude parce qu’il avait des problèmes d’argent. Il m’a appelé pour venir chez moi, mais je ne lui ai pas répondu parce que je dormais. Le lendemain, à l’école, on nous a appris qu’il s’était pendu dans sa chambre. La seule chose qu’il me reste de lui, c’est ce bracelet.
Il me montre les fils élimés autour de son poignet. Je reste silencieux, sous le choc de cette confidence.
– C’était il y a un an, je ne sais pas si je m’en remettrai réellement un jour, mais je trouve des raisons d’aller mieux. Quand je vois ce qui t’arrive, Matéo, et c’est peut-être égoïste de ma part, je suis terrifié à l’idée que tu fasses le même choix, parce que je ne le supporterais pas.
Je ne sais quoi répondre aux aveux de mon ami. Si des idées noires m’ont souvent traversé l’esprit ces dernières années, je n’ai jamais réellement envisagé le suicide. Entre le harcèlement, ma relation compliquée avec ma famille, les dernières révélations sur mon passé et les symptômes qui les ont accompagnées, j’ai pourtant eu beaucoup de raisons de vouloir mourir. Mais, bien que ce soit difficile de toujours y voir clair, je ressens la présence de mes amis, et c’est cette dernière qui m’aide à tenir et à voir les choses positives qui pourraient m’attendre.
– Je suis tellement désolé que tu aies eu à vivre ça, Gabriel, je commence, la voix rauque. Personne ne devrait vivre un drame pareil, je n’ose même pas imaginer la souffrance que tu as traversée. Je… Les temps ont été durs, très durs, et je ne vais pas te mentir en disant que je n’ai aucune idée suicidaire, mais c’est quelque chose que je n’ai jamais envisagé. Je te promets que si jamais ça devient sombre à ce point-là, je t’en parlerai et je ferai le nécessaire pour l’éviter, ça marche ?
Gabriel se contente de hocher la tête en me regardant intensément. Alors, sans que je ne le vois arriver, il rapproche son visage du mien, s’arrêtant à quelques centimètres de ma bouche. Je lui murmure alors “tu peux” et il m’embrasse enfin. Je retrouve la douceur de ses lèvres contre les miennes, une fraction de seconde, qui me fait l’effet d’une bouffée d’air frais. Toutes ces semaines passées dans la douleur s’estompent pour laisser place au plaisir de l’instant présent. Mon extase est de courte durée puisque mon ami s’écarte de moi aussi vite qu’il s’est approché.
– Pardonne-moi, Matéo, je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Enfin, si, balbutie-t-il, bien sûr que si. Tu me plais et tu le sais, mais ce n’est tellement pas le bon moment pour toi, puis c’est hyper glauque après ce que je viens de te raconter, je suis désolé, c’était complètement égoïste.
Je lui prends la main, essayant de l’apaiser et attends de voir la crainte disparaître progressivement de ses doux yeux pour l’embrasser à mon tour. Cette fois-ci, je prends soin de faire durer le baiser, pour rattraper tous ceux que je n’ai pas pu lui faire.
Je sursaute alors en entendant un cri strident derrière nous.7Please respect copyright.PENANALXG9kuIcQV