Gabriel et moi nous séparons brusquement et nous tournons simultanément vers Noée et Sara qui nous regardent, des étoiles plein les yeux et deux bouteilles de vin mousseux déjà bien entamées dans les mains. J’éclate de rire devant leurs expressions béates.
– Ne soyez pas si surprises, ça fait des semaines que vous complotez pour que ça arrive !
Gabriel rit avec moi et nous nous levons pour rejoindre nos amies.
– Bonne année ! dit Sara en remplissant nos gobelets.
Nous lui répondons en écho et buvons tous ensemble. Je ne peux m’arrêter de sourire. Je ne veux pas gâcher les choses en nourrissant trop facilement mes espoirs, mais j’ai embrassé Gabriel, et je n’ai ressenti aucune angoisse ou sentiment négatif.
Nous décidons de ne pas nous éterniser à la soirée, surtout après mon altercation avec Andrea. Les filles ne m’en parlent pas, bien qu’elles aient certainement vu le visage du jeune homme et ma main, et je les en remercie. Sur le chemin du retour, je glisse ma main dans le dos de Gabriel et il me sourit en retour.
– Par rapport à ce que tu m’as confié tout à l’heure…
– On n’est pas obligé d’en parler Matéo, ne t’en fais pas pour moi.
– Si, justement, je m’en fais. Tout tourne autour de moi ces derniers temps. Comment vas-tu, toi, réellement ?
Gabriel prend quelques secondes pour réfléchir à sa réponse.
– Honnêtement, je pense que ça va relativement bien. Évidemment que ça me fait du mal de te voir dans une telle douleur et que ça me renvoie à des choses très difficiles, mais ta promesse m’a rassuré je crois. Même si j’aimerais bien que tu réfléchisses à voir un psy aussi, personne ne peut gérer tout ça tout seul.
– C’est dans mes plans, oui. Tout est si récent, j’ai du mal à me projeter mais, je crois que j’aimerais porter plainte. Si ça ne te dérange pas, je préfèrerais qu’on attende demain avant d’en parler. Là, je veux profiter.
– Profiter de quoi ? dit Gabriel avec un sourire innocent.
Je lui réponds avec un baiser plus fougueux que les précédents, qui ne s’accompagne toujours pas des images violentes perçues auparavant. Alors je continue.
Nous reprenons la route au bout de quelques minutes car le froid nous convainc de rentrer au plus vite. En arrivant chez Gabriel, nous tâchons de rester silencieux jusqu’à nous trouver dans sa chambre, ne sachant pas si ses parents sont présents ou non. Une fois la porte refermée, l’atmosphère change brutalement. Nous sommes tous deux gênés par l’intimité soudaine et ne savons pas où nous mettre. Je prends les devants en m’asseyant sur le bord du lit.
– Pour tes parents, je pense que ce serait bien que je leur parle de ma situation tu ne crois pas ? je demande, hésitant.
– Oui, vous pourrez en parler demain, ils pourront sûrement t’aider aussi.
Gabriel me rejoint sur le lit et le silence pesant se réinstalle dans la pièce. Je fais un signe vers mon sac, indiquant mon intention de me changer et il hoche la tête. Une fois mon t-shirt de pyjama sorti, je me rends compte que je ne sais pas si je dois rester dans la pièce pour me déshabiller. En me retournant, je m’aperçois qu’il a déjà retiré sa chemise et qu’il est torse nu. J’essaye de ne pas rougir et me déshabille à mon tour. Voyant qu’il ne sort pas de deuxième matelas, je souris.
– Je dors par terre alors ?
Gabriel éclate de rire.
– Ça fait une semaine que je me réveille à moitié sur toi, je pense qu’on peut éviter de faire semblant qu’on ne veut pas dormir ensemble.
Je ris à mon tour et me glisse à ses côtés sous la couette après avoir éteint la lumière. Il se blottit alors contre moi, immisçant son visage dans mon cou et y déposant des baisers légers qui me créent des papillons dans le ventre. Je passe ma main droite dans son dos pour y laisser filer mes doigts dans des caresses que je veux agréables. Nous restons enlacés une bonne heure, trop euphoriques pour nous endormir tout de suite. On ne parle pas pour autant, profitant seulement de la présence de l’un dans les bras de l’autre. Je vois mon téléphone s’allumer par terre, m’indiquant que quelqu’un m’appelle, mais choisis de l’ignorer, malgré la persistance de l’interlocuteur. Je sens progressivement mes paupières s’alourdir alors que le souffle de Gabriel se fait de plus en plus lent et régulier contre ma peau.
— Fais de beaux rêves Gab, chuchoté-je.
Il me répond par un soupir détendu, trop endormi pour articuler quoi que ce soit. Je m’endors au son régulier de sa respiration, sans penser à demain ou à hier, profitant seulement du moment présent.
Lorsque je me réveille le lendemain, je suis surpris de ne pas avoir fait de cauchemar. Sentant un poids contre moi, je remarque Gabriel blotti dans mes bras. Les événements de la veille me reviennent en mémoire : la confidence de mon ami, les baisers, la bagarre avec Andrea… Cette dernière me laisse un goût amer. Je comprends mon comportement, Andrea avait dépassé les limites, une fois de plus. Mais toute cette rage ne me ressemble pas. C’était comme si un autre Matéo avait pris possession de mon corps. Un Matéo violent, rongé par un désir de justice via les coups et le sang. Et je déteste cette nouvelle part de moi.
Un mouvement contre mon torse me tire de mes ruminations et je regarde Gabriel émerger doucement.
– Salut toi, dit-il en embrassant mon bras.
Je répond à son baiser par une caresse de mon doigt sur ses lèvres, contemplant le gris chavirant de ses yeux. L’heure sur son réveil indique midi.
– Tes parents sont levés, je remarque en entendant du bruit venant du salon.
– Oh mince, j’aurais bien profité d’être tranquille avec toi… Est-ce qu’on leur parle maintenant ?
– On ferait mieux de s’habiller d’abord et d’éviter de leur dire qu’on a partagé le même lit. Ça risquerait de faire beaucoup d’un coup.
Gabriel acquiesce et nous nous préparons en silence, réfléchissant chacun de notre côté à comment expliquer la situation.
Gabriel tient le gris de ses yeux de ceux de sa mère. Je le sais car cette dernière me fixe d’un regard impénétrable depuis de longues minutes. Son fils vient d’annoncer son attirance pour les hommes de manière assez directe, et son mari et elle restent silencieux depuis.
– Je suppose que ça fait sens, finit par dire sa mère, tournant enfin son regard vers son fils. Nous reviendrons là-dessus plus tard, mais j’ai l’impression qu’il y a autre chose dont vous voudriez nous parler.
Gabriel acquiesce mais reste silencieux, me regardant. C’est à mon tour de raconter mon histoire et je n’ai aucune idée de comment m’y prendre. Je commence par parler de mes parents, de ma relation, ou plutôt de mon absence de relation avec eux. J’explique mon déménagement chez ma tante, le rachat de la maison, et arrive finalement au chapitre de Claude.
– Je ne pense pas être capable d’entrer dans les détails, mais il m’a fait subir des choses que vous n’oseriez sûrement pas imaginer, et qui m’empêchent de vivre avec lui.
Gabriel me prend la main devant le regard médusé de son père, qui se reprend rapidement.
– Matéo ne peut pas vivre sous le même toit que cet homme, dit Gabriel. Je lui ai dit qu’on pourrait peut-être l’héberger, ici.
– C’est une sacrée décision, tu aurais dû nous en parler, répond sa mère.
Ses yeux lancent des éclairs, je suis terrifié.
– Ce serait seulement le temps de passer mon bac et de trouver un travail pour me payer un logement. Je comprends que c’est beaucoup demander de ma part, et que ça implique des changements dont vous ne voulez sûrement pas. Si vous refusez, je le comprendrais également et trouverai une solution au plus vite.
Gabriel se lève, soudainement agité.
– Vous ne pouvez pas refuser, s’écrie-t-il. Vous ne pouvez pas le renvoyer là-bas, pas après ce qui est arrivé à Antoine !
Ses yeux sont larmoyants et j’ai envie de le prendre dans mes bras, mais ses parents me font trop peur pour que j’aie le courage d’affronter un regard impénétrable de plus.
– Calme-toi Gabriel, dit son père froidement. Nous comprenons totalement la situation et il serait mauvais de notre part de renvoyer Matéo dans cet environnement, quel qu’il soit. Néanmoins, comme ton ami l’a soulevé, cela entraîne beaucoup de changements et de choses à prendre en compte.
– Mais vous n’êtes jamais là, qu’est-ce que ça peut bien vous faire ! le coupe mon ami.
Son père lève la main, lui indiquant de se taire et reprend :
– Matéo, nous en reparlerons ma femme et moi, mais tu pourras sûrement rester jusqu’au bac, dans la chambre d’ami. Nous t’aiderons à trouver des solutions, si besoin. Mais il faudrait que nous ayons une discussion avec ta tante à ce sujet, afin que ta famille sâche que nous t’hébergeons.
Je hoche la tête.
– Bien sûr, je vous remercie infiniment, vous me sauvez la vie.
Gabriel me surprend alors en prenant son père dans ses bras. Ce dernier a l’air tout aussi étonné que moi, mais finit par rendre son étreinte à son fils. Les démonstrations d’affection semblent peu naturelles dans cette famille et je suis étonné de voir à quel point Gabriel peut se montrer tendre en le comparant à ses parents.
– Appelle ta tante aujourd’hui, Matéo, me dit sa mère. Nous pourrons fixer une date pour lui parler. Et si tu vas vivre ici, appelle-nous Laure et Thomas et tutoies-nous, ce sera quand même plus convivial.
– Très bien…Laure, je réponds, hésitant. Merci encore.
Gabriel et moi nous levons et nous dirigeons vers sa chambre. Avant que je ne puisse dire quoi que ce soit, mon ami m’embrasse fougueusement et nous tombons tous les deux sur son lit en riant. 6Please respect copyright.PENANAX0TTuuKYC0