Une semaine est passée depuis ma grosse crise d'angoisse. Je me suis malgré moi peu à peu renfermé en me portant malade auprès de mes amis et de ma tante pour qu'on me laisse tranquille. Je n'ai en réalité pas beaucoup d'efforts à faire pour paraître affaibli.
Après le départ de Gabriel, une semaine auparavant, j'ai enchaîné les cauchemars et les paralysies nocturnes. Je rêve chaque nuit de la même chose : une salle de bain peu éclairée dans laquelle je me trouve nu, grelottant, tentant de conserver le plus d'intimité possible en me couvrant de mes bras fins. Dans ces cauchemars, je me vois enfant à travers le reflet du miroir devant lequel je me trouve. Je me réveille toujours au même moment, lorsque les poils de ma nuque se hérissent aux bruits étouffants des respirations.
Mes hallucinations auditives diurnes se sont également intensifiées et je passe mes journées à écouter de la musique pour ne pas entendre les halètements qui me hantent de nuit comme de jour. Je ne mange que très peu et chaque fois que j'avale quelque chose, ma poitrine se soulève de hauts-le-cœur.
Le soir, pour m'endormir, je mélange alcool et médicaments, me garantissant au moins une heure de sommeil profond avant les cauchemars. Lorsque je trouve le courage de sortir de ma chambre pour tenir compagnie à ma tante, je l'aide à chercher un appartement, ce qui me déprime encore plus. Je ne trouve plus la force d'aller à l'encontre de la décision de mes parents et me prépare mentalement à passer la deuxième moitié de l'année scolaire chez Claude.
Le jeudi de la deuxième semaine de vacances, je me décide à rallumer mon téléphone. J'ai fini par l'éteindre, trois jours plus tôt, ne supportant plus de voir les messages inquiets de Noée, Sara et Gabriel, que j'ignorais. Sans surprise, je vois une série d'appels et de messages. Mais chacun a fini par s'essouffler.
Alors que je m'apprête à reposer mon téléphone, ce dernier se met à sonner. C'est un appel de Noée. Après quelques secondes d'hésitation, je décroche. J'ai à peine le temps de dire « allo » que mon amie se lance dans un long discours sur son inquiétude et sa colère envers moi. Je l'écoute, culpabilisant de l'avoir vexée et inquiétée à ce point.
Au moment de m'excuser, une vague d'angoisse, de peur et de tristesse me submerge. Je ne m'imagine pas raccrocher et garder le poids que je supporte péniblement depuis plusieurs jours. Je n'en peux plus. Alors, le cœur au bord des lèvres, je laisse échapper dans un murmure : « Je...je crois que j'ai besoin de parler ». Je reste au téléphone avec mon amie, jusqu'à ce qu'elle arrive chez moi, parlant à peine, me concentrant sur ce qu'elle me dit.
Lorsque Noée arrive, elle se fige devant moi, probablement choquée de mon apparence. Je sais que je suis pâle et que de sombres cernes entourent mes yeux qui ont sûrement perdu leur éclat. Dans son regard, je lis sa soudaine inquiétude, et je culpabilise de l'avoir fait venir. Noée me prend dans ses bras et je me laisse aller, sanglotant sur son épaule. Mon amie m'accompagne doucement jusqu'à la chambre. Nous nous installons tous les deux sur le lit et, après avoir séché mes larmes, j'essaye de raconter tout ce qui me pèse sur le cœur.
Je commence par raconter la visite de mes parents, le sentiment de terreur qui m'a submergé à l'idée de vivre chez Claude, le dégoût que ce dernier me procure et la douleur que me provoque l'injustice de cette décision. Je m'attarde ensuite sur ma relation avec Gabriel, sur le sentiment de sécurité que ses bras m'offrent, mais aussi sur la peur d'être manipulé, puis délaissé, sur les blessures qu'Andrea a laissées dans mon cœur. Je parle de cette voix qui me rabaisse constamment, de ce sentiment profond que personne ne pourra jamais m'aimer.
Puis, j'essaye de parler des hallucinations, des cauchemars, de l'angoisse qui me submerge chaque fois que je vois des gens s'embrasser, du sentiment de vigilance qui m'envahit quand je tente de m'abandonner dans les étreintes de Gabriel. Je raconte ma crise d'angoisse et les cauchemars qui ont suivi, ce sentiment d'être constamment observé, déshabillé, d'être suivi par quelqu'un qui reste là, derrière mon épaule, et qui halète dans mon oreille. Alors que je marque une pause dans mon récit, je me rends compte que je pleure. C'est la première fois que je me confie autant à quelqu'un. Je n'ose pas regarder Noée. Je crains de percevoir de la peur dans son regard. Mais, si mes confessions l'ont apeurée, Noée ne le montre pas. Elle se rapproche doucement et me serre contre elle, me berçant dans ses bras. Après de longues minutes, elle desserre son étreinte et se lève pour ouvrir les volets et la fenêtre.
— Est-ce que ça te va si j'appelle Sara et Gabriel ? Ils pourraient venir pour le soutien moral et comme ça, on rangera ensemble ta chambre pour te créer un meilleur environnement.
J'approuve l'idée mais demande à Noée de ne pas prévenir Gabriel. Je ne veux pas le mêler à tout ça, d'autant plus que notre rapprochement a été un élément déclencheur. Je crains qu'en l'impliquant davantage, mon ami prenne peur et me rejette.
Lorsque Sara arrive, Noée lui fait un résumé de ce que je lui ai confié, à voix basse pour ne pas que j'entende les détails. Je lui en suis reconnaissant, ne voulant pas être confronté à tout ce que j'ai pu dire. Sara me lance un regard inquiet mais ne dit rien.
Alors que je me douche, les filles procèdent à un réaménagement total de ma chambre et préparent à manger. Je suis mal à l'aise et culpabilise de leur infliger cela, surtout après les avoir ignorées pendant plusieurs jours. Mais j'ai besoin de leur présence, de leur aide et de leur soutien. Alors, en sortant de la douche, je m'efforce d'avaler la soupe que Sara a préparée et suis surpris de voir que je réussis à tout boire sans avoir envie de vomir. Je laisse mes amies me chouchouter et leur propose de rester regarder un film le soir. Je leur prépare du thé et sors des bonbons pour les remercier. Alors que je m'installe sur le canapé à leurs côtés, Noée m'observe d'un air grave.
— Je pense que tu devrais voir quelqu'un pour ce qui t'arrive, me dit-elle. Je doute que tu sois en train de devenir fou, mais ça n'est pas pour autant normal. Ça ressemble vachement à une invasion de souvenirs que tu aurais mis de côté.
Je hausse les épaules. Je sais que Noée parle en tant que connaisseuse. Cette dernière rêve de devenir psychologue et a déjà commencé à lire sur les sujets qui l'intéressent le plus. Aussi, elle a elle-même vécu des événements traumatiques dans son enfance pour lesquels elle consulte régulièrement une psychothérapeute. Mais je ne me sens pas capable de me lancer là-dedans. J'ai peur de me retrouver à l'hôpital ou qu'on me déniche une pathologie. En plus de cela, je ne suis pas certain de vouloir découvrir ce que mes cauchemars représentent. S'ils sont restés enfouis si longtemps, il y a sûrement une bonne raison. Je promets cependant d'y réfléchir.
Noée et Sara partent quelque temps après la fin du film, non sans s'assurer à plusieurs reprises que je n'ai plus besoin d'elles. Avant de partir, cependant, Noée me prend à part.
— Je sais que c'est difficile pour toi de donner ta confiance, me dit-elle, tout bas. Mais ne rejette pas les personnes qui veulent t'aider. Elles sont autour de toi pour une raison.
Je hoche la tête et la prends dans mes bras pour la remercier. Après le départ de mes amies, je remonte dans ma chambre et ressors ma guitare que je n'ai pas touchée depuis une bonne semaine. Je joue les premiers accords d'une chanson de Sia que j'ai découverte récemment. En chantant, je sens les paroles appeler à l'aide à ma place, formuler les demandes et les souffrances que je ne sais exprimer.
« I'm in here,
Can anybody see me here ?
Can anybody help ? »
Je sens ma voix trembler à la fin de la chanson. J'ai besoin d'aide et de réconfort, besoin que quelqu'un me dise que tout ira bien, que le cauchemar que je vis prendra bientôt fin. J'hésite un instant à appeler Gabriel, mais la peur de me montrer vulnérable me retient. Je me contente alors de lui écrire un message, m'excusant pour mon absence et le rassurant quant à mon état. Néanmoins, je ne lui propose pas de nous voir, craignant de craquer devant lui comme je l'ai fait avec Noée.
En bas, j'entends ma tante rentrer et descends la voir pour passer un peu de temps avec elle, espérant seulement qu'elle n'abordera pas le sujet de la recherche de logement. Finalement, ça me fait plaisir de sortir de mon isolement. Mais je sais que mes cauchemars m'attendent au tournant, et je repousse au maximum mon endormissement. J'essaye de ne pas boire, ce soir-là, parce que j'ai passé une journée plus agréable que les précédentes et que j'ose espérer que j'arriverai à m'endormir au moment opportun, sans trop remuer dans les pensées épuisantes. Lorsque, aux alentours de quatre heures du matin, je commence à franchement piquer du nez, je me glisse sous ma couette et m'endors, priant pour me réveiller reposé.
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