Le lundi matin, je m'autorise à traîner un peu au lit. Mes cours ne commencent qu'à quatorze heures et j'ai passé une nuit plutôt agitée. Claude a fini par partir aux alentours de minuit après avoir transformé mon cerveau en bouillie. En allant me coucher, je n'arrivais pas à me débarrasser du frisson désagréable qui s'était installé à la vue de l’ami de mes parents, quelques heures plus tôt. Cet homme m'a donné une nausée telle que j'ai dû me précipiter aux toilettes après m'être couché, persuadé que j'allais vomir. Je ne comprends pas comment je peux me mettre dans ces états à cause d'un imbécile comme Claude. Il me rend littéralement malade. J'ai ensuite enchaîné les cauchemars angoissants me mettant en scène au lycée, me faisant frapper et humilier de manière différente à chaque nouveau rêve.
Aux alentours de onze heures, je me décide à me traîner hors du lit pour commencer à me préparer. En voyant l'averse derrière la fenêtre, je me saisis d'un pull à capuche pour accompagner mon t-shirt vert et mon jean noir. Je croise dans la salle de bain ma tante qui se prépare à partir.
– T'as eu du mal à dormir cette nuit toi, non ? demande-t-elle.
Elle a dû m'entendre me lever. J'acquiesce, mais m'empresse de la rassurer.
– Tout va bien, ne t'en fais pas, même si je n'aurais pas dit non à quelques heures de sommeil supplémentaires. Je pense vraiment être allergique à Claude.
Lucía rit doucement, approuvant mes mots. Elle m'embrasse avant de partir pour le travail. Je me prépare un petit sandwich avec ce que je trouve dans la cuisine et le mange dans le canapé, parcourant les derniers messages sur mon téléphone. Gabriel m'a écrit dans la matinée, s'excusant une nouvelle fois et me disant qu'il a tout arrangé. J'y crois moyennement, mais suis désormais curieux de savoir comment il s'y est pris. Je réponds rapidement à Noée qui me demande à quelle heure je commence les cours, puis remonte finir de me préparer.
En arrivant au lycée, je sens l'appréhension me nouer l'estomac. J'ai de l'avance et mes camarades ne sont pas encore présents devant la salle de classe. Cette dernière étant ouverte, j'en profite pour m'installer à ma place habituelle et m'avachir sur la table, espérant réussir à dormir durant les dix minutes qui précèdent le cours. Mon répit est néanmoins de courte durée et j'abandonne tout projet de dormir lorsque mes camarades commencent à arriver au compte-goutte. Je me redresse à peine et gribouille machinalement dans le coin de ma feuille.
J'aperçois Quentin et Louis entrer en ricanant dans la salle, suivis de près par Gabriel. Cependant, au lieu de s'installer derrière eux comme à son habitude, ce dernier s'approche de moi et tire la chaise d'à côté.
– Je peux m'asseoir ? me demande-t-il.
Je l'invite à s'installer d'un signe de la main, puis retourne à mon dessin. Au moment où Gabriel semble prendre une inspiration pour parler, le professeur d'histoire fait son entrée.
Les deux heures de cours sont épuisantes. Une forte migraine résonne entre mes tempes et je rêve du moment où je pourrai rejoindre mon lit. Une quinzaine de minutes avant la fin du cours, Gabriel se penche vers ma feuille pour y inscrire « salut ? ». Je réponds en dessinant un visage souriant, espérant qu’il ne voudra pas se lancer dans une conversation par messages interposés.
M'impatientant de plus en plus, je me mets à compter chaque minute qui me sépare de la fin du cours. Lorsque la sonnerie retentit, je grimace en me massant les tempes. Ma migraine a empiré et le bruit strident n'arrange rien. Lorsque le professeur nous autorise enfin à partir, je me lève d'un bond, fourrant toutes mes affaires en vrac dans mon sac. Je n'ai qu'une idée en tête : retrouver mon lit. Je fonce tête baissée hors de la salle, me concentrant sur l'image de ma chambre, jusqu'à ce que Gabriel me rattrape.
– Eh, il faut que je te rende tes vêtements ! Et puis on doit parler, tu ne crois pas ? dit-il en arrivant à côté de moi.
Ne me sentant pas d'entamer une discussion sur le moment, j'invite tout de même Gabriel à m'accompagner chez moi. Ce dernier accepte et, à ma demande, reste silencieux durant tout le trajet. En arrivant, je le traîne dans les escaliers et, attrapant une boîte de paracétamol en passant devant la salle de bain, l'emmène dans ma chambre. Je m'assieds sur le lit et commence à retirer mes chaussures sous le regard interrogateur de Gabriel.
– Il faut que je dorme, laisse-moi une heure. Tu peux t'installer à mon bureau, m'emprunter un livre, peu importe. Promis, dans une heure tu pourras me raconter ce que tu voudras.
Sur ces mots, je programme mon réveil, avale mon médicament en espérant qu'il fera disparaître la migraine et m'endors dès que ma tête touche l'oreiller, laissant Gabriel légèrement désemparé.
Une heure plus tard, je me réveille en grognant, étirant chaque membre de mon corps et me prenant la tête dans les mains. La migraine n'est pas entièrement partie mais la douleur est beaucoup plus supportable. Je tends la main vers ma gourde d'eau et en ingurgite la moitié avant de porter mon attention sur Gabriel, qui me regarde depuis la chaise de bureau. Les feuilles sur la table m'indiquent qu'il a profité de cette heure pour s'avancer dans ses devoirs.
– Bon, je commence. Tu voulais me parler ?
Gabriel sourit timidement et vient s'asseoir sur le lit, près de moi.
– Je sais que je me répète, mais je suis vraiment désolé... pour tout, se lance-t-il. Le jour de la rentrée, Louis et Quentin m'ont accaparé et m'ont dit toutes ces choses ignobles sur toi. Je ne les croyais pas, évidemment, mais le fait est que, depuis le début du collège, je saute d’un établissement à l’autre. Mes parents déménagent souvent pour le travail, et je les suis. Pour en revenir à mes bêtises... je peux ?
Gabriel désigne d'un signe de tête ma gourde, que je lui donne. Après avoir bu quelques gorgées, il reprend.
– Je suis complètement nul dans tout ce qui est social, encore plus au lycée où je sais qu'il y a tout un système de marche ou crève. Alors quand Quentin et Louis m'ont donné la possibilité de me joindre à eux, je l'ai fait, ne sachant pas comment leur dire qu'ils m'ennuyaient. J'ai vu comment ils te traitaient et j'ai eu des échos de tout ce que tu as enduré l'an dernier. Je ne voulais pas les laisser faire, mais personne ne s'opposait à eux donc j'ai eu peur que ma première et dernière année dans ce lycée se transforme en cauchemar. Puis je t'ai vu avec tes amies, et vous aviez l'air de vous amuser. Je me suis dit que, peut-être, je pouvais être ami avec toi sans vivre ce harcèlement.
Je hausse les sourcils.
– Ah parce que si c'est juste moi qui me fais harceler et agresser, c'est bon alors. Tant que tu n'as rien on peut être amis, c'est ça ? je lui réponds en riant jaune.
Gabriel paraît surpris, comprenant le sens de ce qu'il vient de dire.
– Non pas du tout ! s'écrie-t-il. Ce n'est pas ce que je voulais dire, je m'exprime vraiment mal, c'est nul. Je voulais dire que le fait d'être plus nombreux découragerait sûrement les personnes qui voudraient t'embêter.
Je soupire, lui laissant le bénéfice du doute.
– Ok, si tu le dis. Et pour la remarque en cours d'espagnol et ton petit spectacle à la fête ?
Gabriel grimace, comme s'il avait lui-même du mal à comprendre ses réactions.
– Je ne sais pas vraiment, bafouille-t-il. Je crois qu'en espagnol, j'ai un peu paniqué parce que je ne m'attendais pas à devoir sympathiser tout de suite avec toi. Je le voulais, mais j'ai eu peur de ne pas savoir dire les bonnes choses. Et la preuve est là, j'ai merdé. C'était une tentative nulle de faire de l'humour, mais je suppose qu'à ta place j'aurais eu envie de me frapper. Mais je n'ai pas d'explication à te donner pour la fête. Le fait est que je ne sais pas pourquoi j'ai réagi comme ça. Enfin si, j'ai flippé, c'est tout. Je suppose que j'ai du travail à faire là-dessus. Et j'ai dit à Quentin et Louis que je suis celui qui t'a fait entrer dans cette chambre, que je m'ennuyais et que je cherchais quelqu'un pour boire avec moi.
Je hoche silencieusement la tête. Je ne sais où me situer par rapport aux explications de Gabriel. Je trouve sa démarche de chercher mon amitié assez étrange, mais en prenant en compte le fait que le jeune homme n'a sûrement pas eu beaucoup d'amis pendant de longues années, je peux comprendre cette maladresse.
– Écoute, je commence après un long silence. Je te remercie pour ton honnêteté et je ne t'en veux pas trop pour la soirée, c'était con comme réaction, mais c'est passé et je ne suis pas rancunier. Je te propose qu'on commence à bosser sur le film ce soir, si tu es d'accord.
Gabriel acquiesce en souriant timidement. Je prends mon téléphone pour prévenir ma tante, mais vois un message de sa part m'indiquant qu'il y a eu un gros accident de la route et qu'elle sera donc retenue à l'hôpital, qui a besoin de renforts. J'explique la situation à Gabriel et nous descendons tous les deux pour nous mettre au travail.
– Tu ne dois pas prévenir quelqu'un que tu ne seras pas chez toi ce soir ? je lui demande.
– Mes parents sont en déplacement et mon grand frère ne vit plus avec nous, répond Gabriel en haussant les épaules.
Une fois en bas, je fais griller deux tranches de pain et sors la carafe de thé glacé préparé la veille. Une fois installé sur le canapé, Gabriel sort la fiche des consignes pour notre dossier et sourit en me voyant remplir deux grands verres de thé glacé, avant d'ouvrir mon ordinateur portable.
– En tout cas, t'es un bon hôte quand tu ne m'engueules pas, dit-il en riant.
Je lui réponds avec un regard noir, mais finis par lui sourire en retour. Nous nous répartissons le travail pour présenter Le labyrinthe de Pan dans son contexte historique. Du coin de l'œil, j'aperçois de temps en temps Gabriel lever légèrement la tête vers moi et me regarder, un court instant, avant de retourner à ses recherches. Au bout d'une heure, nous assemblons nos trouvailles et nous mettons d'accord sur un plan de présentation.
– On devrait peut-être regarder le film maintenant non ? Toutes ces recherches m'ont donné envie de le voir, dit Gabriel.
Je souris en me levant pour ramener nos verres dans la cuisine.
– Tu ne l'as vraiment jamais vu ? je lui demande.
– Non, jamais, mais je suppose que toi oui et que tu meures d'envie de me partager tes opinions et interprétations.
– À vrai dire, ouais, carrément. Mais je promets de rester silencieux si tu acceptes que je le regarde avec toi. Après, peut-être que je suis trop gay...
– Ha-ha, hilarant. Je crois que le pire, dans tout ça, c'est que j'ai le dvd chez moi, confesse Gabriel.
Je secoue la tête en rigolant.
– Bon, dis-je, tu restes dîner ?
Gabriel, regarde l'heure sur son téléphone avant de s'étirer en baillant.
– Non, je pense que je vais rentrer, je suis crevé.
– Si ce n'est que ça, tu peux dormir ici, ce ne serait pas la première fois.
– Oh ! Euh...ou-ouais.. peut-être...
– Eh panique pas, je ne t'ai pas demandé de coucher avec moi, je te propose de dormir sur le canapé, c'est un convertible. Mais si c'est pour paniquer comme ça, ce n'est pas la peine, désolé d'avoir proposé.
Je sors de la pièce pour monter ranger mon ordinateur dans ma chambre. Gabriel me rejoint quelques instants plus tard.
– Désolé pour ma réaction, c'est juste que je crois que j'ai encore un peu honte de mon dernier séjour chez toi. Mais si ta proposition tient toujours, alors je serai ravi de tester ce super canapé-lit.
Je le regarde d'un air étonné.
– Je suppose que je devrais m'excuser de ma réaction, je n'ai pas non plus à me braquer comme ça à chaque fois, pardonne-moi.
– Non, ne t'excuse pas, t'as l'habitude que les gens t'attaquent là-dessus, n'importe qui à ta place serait aussi sur ses gardes.
En regagnant le salon, je déplie le canapé puis me lance dans la préparation de pâtes à la crème et aux champignons, un de mes plats préférés. En attendant que les pâtes cuisent, j'ouvre mes messages sur mon téléphone. J'ai une dizaine de sms venant de mes amies, inquiètes de ne pas avoir de nouvelles. Je leur écris un rapide récapitulatif de mon après-midi et reçois immédiatement des réponses manifestant un grand enthousiasme quant à la présence de Gabriel chez moi.
“Respirez, les filles, j'ai le droit d'avoir un invité masculin sans pour autant vouloir lui sauter dessus. Et on ne s'était pas mis d'accord sur le fait qu'on ne l'aimait pas ?”
Je repose le téléphone en souriant et me concentre à nouveau sur les pâtes. Lorsque j'apporte les assiettes dans le salon, Gabriel affiche un grand sourire.
– Mais c'est qu'il est cuistot en plus d'être un bon hôte ! Merci, je m'occuperai de la vaisselle, promis.
Je ris en allumant la télé.
– Ne promets rien, vu ta tête tu dormiras avant le dessert. Tiens, choisis le film que tu veux voir, je te propose qu'on regarde celui du dossier une autre fois, on a assez travaillé.
Je suis déçu du choix de film de Gabriel. Ce dernier a jeté son dévolu sur un Avengers, typiquement ce qui m'ennuie. Mais je ne dis rien et regarde le film en silence, retenant les commentaires sarcastiques qui me brûlent les lèvres. Comme prévu, Gabriel s'endort une bonne vingtaine de minutes avant la fin du film. Je ramène les assiettes dans la cuisine et remets la vaisselle au lendemain, ne voulant pas faire de bruit. Je prends le plaid du fauteuil pour l'étaler sur mon nouvel ami, espérant qu'il ne choisira pas ce moment pour se réveiller. Je remonte doucement et, après une rapide douche, m'effondre dans mon lit. J'envoie un message à ma tante pour la prévenir de la présence d'un invité surprise et m'endors juste après.
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